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Franco-Hungarian Literary Relations

GAR297

Date: [?]
Language: French
Repository: Petőfi Museum of Literature
Document type: Typed letter
Publisher: Tüskés Anna (06-07-2017)
Folio number: 6

Lacikám,

itt küldöm felszólalásomat. És még egyszer minden jót ! BUÉK !

Tímár György

(Ha már nem kell ez a példány, küldd vissza, kérlek!)

Messieurs, Mesdames,

On a choisi pour le thème de notre colloque: „La langue française, véhicule de poésie”. Permettez-moi de faire un petit détour avant de revenir à notre thème. Premièrement, parce que j’aime bien les détours : sans eux, nul traduction poétique ne serait possible. Deuxièmement, parce que les détours ont l’avantage de nous fixer au point dont on fait le tour, mieux encore que le point même.

J’apprécie beaucoup toute tentative qui a pour but l’innovation non pas simplement des méthodes, mais aussi celle de la vue poétique, c’est à dire l’innovation des relations entre le poète et le monde qui l’entoure, l’innovation de toute attitude intellectuelle poétique.

Il y en a certainement quelques-uns dans cette salle qui savent que je suis en train de préparer une athologie franco-belge en langue hongroise. Je suis donc plus ou moins au courant des valeurs poétiques qui se trouvent actuellement dans ce pays dont l’obligeance et l’amour propre de ses poètes pour l’internationalisme de la poésie nous menait ici a cette table-ronde. Et voilà qu’en étudiant avec un intérêt plus que confraternel cette poésie très subtile, très musicale, très cultivée, tout à coup je me disais que oui, sans doute, la poésie française de la Belgique a une moyenne très élevée, et pourtant il y en a quelque chose qui me manque. Cette poésie est très soignée, oui, mais avec un certain penchant vers une tristesse désarmée et un peu pudique, comme la tristesse d’un petit garçon trop bien élevé qui ne connaît pas les niches des gamins féroces. C’est comme la tristesse d’un garçon timide et maladroit qui, en regardant la violente gaité des autres, sent croître dans son âme une nostalgie rêveuse qui cependant reste toujours une nostalgie sans actes de conséquences, parce que le petit garçon a peur qu’en suivant les autres, ses vêtements deviendront peut-être souillés.

Je crains de n’avoir l’air d’un ingrat qui fut invité par ses amis et, une fois arrivé, il abuse de leur hospitalité. Non, chers amis belges, ce n’est point l’ingratitude qui me fait parler ainsi, au contraire, c’est le souci qu’on a pour ses amis, et seulement pour des amis. Notre grand poète, Attila József a écrit : « Ce n’est pas contre toi, c’est pour moi que je suis faché ». Et c’est justement le cas. Je parle ainsi pare que je vois un danger, et si l’on voit quelque sorte de danger, on crie. Eh bien, je crie moi aussi, et j’espère que vous me pardonnez ma ferveur furieuse. Bref, je continue à parler franchement, à parler en vrai ami.

Je ne sais pas si vous avez remarqué ou non : je n’ai pas quitté notre thème : „La langue française, véhicule de poésie”. En France, la poésie a beaucoup perdu de son prestige bien mérité lors des années de la Résistance. La plupart des poètes français contemporains ont un penchant pour le hérmétisme qui les empêche de retrouver leur public. En Belgique, je vois une autre tendance parmi les poètes de langue française, la tendance peut-être inconsciente de prouver leur appartenance à la culture française. C’est ici la cause, selon mon avis, de l’abondance innaturelle des alexandrins classiques, par exemple.

Mais alors, la langue française, comment peut-elle, en manque de tentatives osément expérimentales, rester véhicule de poésie ? Le danger dont je vous parle se manifeste dans le fait effrayant que ce véhicule a de moins en moins d’occupants. Ce véhicule est de plus en plus menacé de ne pas être fréquenté, de circuler tout vide.

Parce qu’en perdant les liens qui attache une poésie à la réalité vivante, cette poésie perd toute sa vie, elle perd la sève sans la circulation de laquelle elle déperira forcément.

Selon mon avis, la langue française de nos jours est menacée d’être remplacée par l’anglais, en tant que véhicule de poésie, étant donné que la plupart des poètes de langue anglaise, surtout les jeunes américains, ont gardé l’aptitude à trouver quelques sorte de synthèse entre les faits des temps modernes et la vision poétique. Certes, il y en a des tentatives aussi parmi les poètes de langue française, mais ces tentatives sentent souvent  le laboratoire et <surtout> elle ne corresponde pas forcément avec une attitude poétiques vraiment moderne. Quant à la majorité des poètes, ils se contentent d’écrire des poèmes très correctes mais qui pourraient aussi bien être écrits avant de longues décennies. Bien sûr, le surréalisme est passé, mais il laissait des traces inévitables, surtout l’exigeance prononcée de la rupture énergique avec la logique formelle. Je rejette résolument l’arbitraire du surréalisme, mais non pas son affinité envers les visions, et non pas non plus ses forces vives dont je regrette le manque en lisant un tas de poèmes très bien peignés et très correctes.

Entre paranthèses : dans la poésie française contemporaine, là, on trouve actuellement des tentatives expérimentales d’un nombre assez élevé, mais selon mon avis, la plupart de ces tentatives ne dépasse pas le domaine du hermétismes ou de ce qui se présente comme hermétisme dans les yeux d’un poète hongrois, considéré en France comme romantique têtu. (Voilà encore un problème qu’on devrait discuter lors d’un colloque international.) Mais en Belgique, c’est le geste révolté même pour de nouvelles possibilités poétiques qui manque.

Si je veux préciser ce sentiment de carence qui m’envahit en lisant et relisant les poèmes de nombreux poètes belges, je dois dire qu’ici, nous sommes au noeud de la question. Oui ; ce sont surtout les recherches poétiques qui font faute à leur oeuvre, bien que sans celles-ci la poésie soit incapable de se renouveler.

Très sympathiques de cet aspect quelques poèmes de Robert Goffin, poèmes que je nomme généralement sa voie « cendrars-ienne », ces longs vers non-comptés où l’on trouve toute l’encyclopédie du vingtième siècle. Ici, je sens la force du poète, la force avec laquelle il s’attache au monde extérieur, et aussi avec laquelle il s’exprime. (Je suis profondément convaincu que ces deux choses ne font qu’une, étant attachée l’une à l’autre.)

Bien sûr, Goffin n’est pas le seul à exprérimenter, ni à s’exprimer d’une manière tout à fait individuelle. Par exemple, pour mentionner un seu nom dont le porteur m’est devenu très sympathique en conséquence de sa poésie hardie, Roland Busselen est quelqu’un qui a le sens de s’exprimer d’une façon choquante et qui est assez osé pour quitter les mélodies traditionnelles de la poésie française.

Vous voyez ce que je veux dire. L’aristocratie ancienne dont les membres se mariaient toujours entre eux, a perdu sa force et devenait dégénérée. Les poètes français qui avaient, par suite de la grande révolution du dixhuitième, et surtout depuis la révolution poétique de Rimbaud, la prééminence mondiale, sont obligés à notre époque de se marier parfois hors de leur cercle. L’exemple des anglais et surtout des jeunes américains, l’exemple de notre Attila József (qui a atteint les cimes de sa poésie en traversant de nombreuses collines expérimentales), l’exemple du poète soviétique Vosnjessensky, celui de notre Gyula Illyés et de Lajos Kassák (dont les poèmes choisis ont été édités par la Maison du Poète à Bruxelles) sera sans doute très util pour faire augmenter l’envie d’expérimenter et servira comme une espèce de greffage pour l’arbre de la poésie française, de la même façon que nous autres, hongrois, polonais, roumains recevons une greffe française permanente qui nous aide à renouveler notre poésie.

La traduction poétique, la traduction en forme n’est devenu que tout récemment un des domaines principaux du travail des poètes de langue française. En voie de conséquence, toute la traduction poétique peut être considérée en Belgique, de même qu’en France comme un grand laboratoire. (Ici ; je prononce ce mot sans un sens péjoratif, bien entendu. (Qu’est-ce l’oeuvre de mon compatriote Monsieur Ladislas Gara par exemple, sinon la grande tentative d’etendre les principes de la traduction poétique des petits peuples de l’Europe de l’Est en les faisant valables sous les conditions tout à fait différentes de la syntaxe française ?)

Mais ce n’est que là que les épreuves commencent. J’ai beaucoup discuté avec quelques amis français sur la situation de la langue française et pour vrai dire, je ne partage pas leur avis quand ils disent que la langue française, en tant que tel, soit incapable à atteindre une souplesse plus grande, plus fine que celle de nos jours, c’est à dire que le développement de la langue française soit terminé pour toujours. Je vous rappelle, mes amis, qu’à un moment donné, l’histoire de la littérature hongoise, les exigeances de cette histoire, nous ont donné un François Kazinczy dont on se moquait d’abord, mais qui renouvelait toute la langue hongroise. Et n’est-ce pas qu’avec la naissance de la rime mixte et avec le fait que les règles poétiques de la langue française sont devenues plus lâches, c’est la possibilité même qui est née pour pouvoir traduire des poèmes en forme ? Que sans ce changement de la conception de la langue poétique la traduction poétique serait pratiquement inimaginable en France et en Belgique ?

De plus, je vois déjà les premiers pas aboutissant à une souplesse redoublée. Vous avez entendu les paroles de notre cher Jean Rousselot disant comment il a trouvé une solution jusqu’à présent inconnue, celle des décasyllabes 3-7 et 7-3. Ou bien, le maniement et l’importance croissante des assonances, par exemple, ne montrent-ils pas un certain changement dans la conception de la langue poétique ? On peut citer toute une légion d’exemples, des poèmes de Paul Eluard, de Guillevic, de Marcel Thiry où le poète essaie à trouver une nouvelle consonance, une musique nouvelle et inattendue. Parce-que ce n’est qu’un côté de la vérité entière que les poésies étrangères traduites en français servent à la langue poétique française comme une sorte de tranfusion de sang ; aussi faut-il dire que sans une souplesse soigneusement élargie toute langue est incapable à recevoir et à refleter un langage poétique qui n’est pas le sien. Cela ne veut pas dire que j’exige d’une langue quelconque de se transformer à une autre langue, à une langue étrangère. Mais le but du traducteur consiste à trouver la solution quasi miraculeuse d’une antinomie : premièrement, il doit rendre le tout – c’est à dire le texte, la forme et l’âme – d’un poème étranger dans sa propre langue, c’est à dire il doit en faire un poème qui n’est plus un poème étranger ; deuxièmement, il doit tout de même garder les traits caractéristiques de la langue, de la culture, de la musique étrangères. Bref, il doit en faire un poème de double nationalité.

Or, ce travail exige une souplesse pour ainsi dire inépuisable de la langue dans laquelle on traduit. Et pour atteindre cette souplesse, c’est toujours la poésie de recherche et de laboratoire qui vous servira le plus.

Georges TIMAR

(Hongrie)