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Franco-Hungarian Literary Relations

GAR001

16, Rue de Vézelay, Paris 8.e
Date: 11-10-1961
Language: French
Repository: Petőfi Museum of Literature
Document type: Letter written by hand
Publisher: Tüskés Anna (22-05-2017)
Folio number: 1

Cher Monsieur,

Je vous remercie d’avoir bien voulu me communiquer l’excellent traduction d’A. Frénaud de Bukj fel az árból de József Attila. C’est parce que cette traduction a des qualités poétiques exceptionnelles et aussi parce que le poème constitue un document de la vie affective du poète que je me permettrai quelques remarques d’ordre psychanalytique. En effet le traducteur semble interpréter le poème comme l’expression d’un sentiment aigü de culpabilité avec appel du châtiment, thème si fréquent dans la poésie d’Ady. En réalité Attila n’est jamais parvenu à pareille maturité affective. Pour lui le problème serait plutôt de dépasser le stade de l’« innocence », de l’absence de pêché et d’établir une relation, fût-elle cruelle, avec le « père » pour échapper ainsi à la terrible angoisse d’une solitude autistique et qui le submerge et le paralyse. « Emerge du torrent de mon angoisse » expliciterait assez l’idée du titre. Comme s’il disait : Puissé-je être coupable ! J’ai tant besoin, pour vivre, d’un père qui me frappe ! Mon angoisse est un danger mortel pour moi, pour les autres. Je suis inflammable. Pourquoi me laisse-t-on avec mon insupportable innocence ? Pourquoi père ne vient-il pas me punir ? Je retiendrai mon souffle pour me faire mourir, si tu ne viens pas me donner la vie à coups de bâton. Seul en me supprimant je puis tenir tête à ton absence !

Attila a vu juste. La désagrégation tragique de son esprit n’est pas étrangère à la perte précoce et irremplacée de son père.

J’aurai l’occasion d’ailleurs de développer ces idées lors d’un colloque sur Art et psychanalyse et qui se tiendra – sauf obstacle – à Cerisy du 1er au 10 Sept. 62. Je vous y convie cordialemenr.

Vous me demandez de résumer en quelques lignes mes principes traductifs. Voici :

Le poème est un relais entre poète et public. La traduction est un relais de plus. Le « message » n’est pas transcendant au poème, il est le poème lui-même, sa respiration, sa vie. C’est cela qu’il faut recréer. Certes, le poème est complxe comme un organisme vivant. Mais tout n’y est pas d’égale importance. Au traducteur d’en dégager l’essentiel. Ici le sens, là la qualité sonore, là encore un enjambement ou un tour syntaxique, presque toujours le rsthme, enfin et surtout l’attitude affective. La poésie est universelle. Comme le rythme. Tel est l’acte de foi du traducteur. Trouver les matériaux pour exprimer cela, telle est sa prétention insensée. Ou le secret de son art difficile.

J’espère vous revoir très bientôt et vous envoie, en attendant mes salutations amicales

Nicolas Abraham


Annexe

1 f. Attila József : Bukj fel az árból, traduction d’A. Frénaud