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Franco-Hungarian Literary Relations

GAR157

18, rue des Saints-Pères Paris VIIe
Date: 17-06-1959
Language: French
Repository: Petőfi Museum of Literature
Document type: Typed letter
Publisher: Tüskés Anna (06-06-2017)
Folio number: 1

Mon cher Ami,

à l’heure où l’assassinat d’Imre Nagy sera commémoré pour la première fois entre écrivains français et hongrois, je serai, malheureusement, à trente kilomètres de Paris et ne pourrai, par ma présence, contribuer à évoquer avec vous l’image de l’homme d’état disparu. Néanmoins, je ne voudrais pas être absent tout à fait, et vous envoie en vitesse ce mot.

Il y a un an, jour pour jour, je terminais ce chapitre de mon roman où des amis vont chercher Imre Nagy dans sa villa à Pasarét pour le conduire au Parlement. Le lendemain, j’apprenais l’exécution. Je suis resté huit jours sans pouvoir continuer mon livre qui, brusquement, n’avait plus aucune signification pour moi. L’étude des textes et documents, des photographies surtout, m’avaient rendu Nagy familier ; il était devenu – sans le moindre irrespect – une de mes créature ; je le tenais, vivant, au bout de ma plume. Je lui dictais ses paroles, je lui commandais ses gestes, et il m’obéissait – dans la mesure où la représentation que je m’étais faite de lui correspondait à la réalité. Ce jour-là, on n’a pas seulement tué un homme victime des seuls événements dont il n’était pas responsable ; on n’a pas seulement supprimé un témoin gênant ; on n’a pas seulement exercé une basse vengeance contre un citoyen lucide et débordé ; on n’a pas seulement affiché un bouc émissaire ; on n’a pas seulement pendu un innocent à qui l’Histoire rendra justice ; on a, ce jour-là, ce qui est bien plus grave, on a mis à mort un personnage que j’avais créé, et par là on m’a fait un tort personnel. De ce jour-là, Imre Nagy a disparu de mon livre – comme il a disparu de la vie. Evidemment : le tort fait à un romancier, est-ce que cela compte ? Et le tort fait à une famille, à un peuple, à la vérité de l’Histoire ? Je vous laisse juges.

Amicalement à vous et à tous ceux qui sont mes amis

Herbert Le Porrier