GAR452
Language: French
Repository: Petőfi Museum of Literature
Document type: Typed letter
Publisher: Tüskés Anna (31-07-2017)
Folio number: 1
Cher Monsieur,
Comme suite à notre brève rencontre d’hier je me permets de préciser quelsues détails qui me paraissent importants.
En ce qui concerne la proposition que j’aurais du vous faire au sujet de la traduction des trois oeuvres hongroises dont je vous ai parlé, je suis absolument navré que Bondy ne vous en ait rien dit. Aussitôt votre accord de principe obtenu, je suis allé le trouver pour lui demander les conditions dans lesquelles il fait travailler ses collaborateurs dans un cas de ce genre. Il a répondu qu’il payait, comme vous le savez, 650 frs la page, mais qu’étant donné qu’il s’agit d’un travail important, il trouverait que 600 frs serait un tarif raisonnable. Il a promis de vous le dire le soir même, et quand j’ai suggéré qu’il pourrait l’oublier il s’est récrié. J’étais donc en droit d’espérér que le néceassaire serait fait, et si je n’ai pas insisté davantage, c’est que j’ai horreur d’importuner.
Je profite de l’occasion pour préciser encore une fois que si, au lieu d’accepter d’emblée votre si aimable proposition de traduire le roman de Tamasi que j’ai pu me procurer peu après notre entretien (468 pages) j’ai proposé plutôt de traduire trois fragments d’ouvrages de 150 pages chacun, c’est pour assurer uns diffusion encore plus large à des oeuvres hongroises qui me tiennent à coeur. En effet je pense qu’avec un fragment de 150 pages accompagné d’un résumé circonstancié il me sera possible de faire accepter le livre par un éditeur et d’ouvrir ainis le chemin non pas à un mais à trois livres.
J’ai été encouragé dans cet espoir par un entretien que j’ai eu avec Gabriel Marcel, membre de l’Institut, qui m’a promis que si je lui donnais un manuscrit de cette importance accompagné d’un résumé substantiel il lui serait possible d’obtenir une décision pour un livre de Tamasi et de Nemeth dans la collection « Feux Croisés » qu’il dirige.
Mon idée était de lui présenter le livre de Tamasi et de proposer à Gallimard – pour la collection qui a publié notamment Pasternak – le livre de Nemeth dont Illyès leur a parlé quelques semaines avant la révolution et qu’ils ont retenu en principe, à condition bien entendu de pouvoir lire une partie de l’ouvrage en français. Etant donné qu’il s’agit d’un très beau livre, écrit dans une langue très difficile, je n’ai pas pu jusqu’ici me permettre cette avance de travail, c’est pourquoi j’ai été si heureux que vous sembliez ne pas désapprouver ma proposition. Entre parenthèses, Nemeth est un écrivain de très grande classe qui, une fois « découvert » pourrait être pour son éditeur une affaire commerciale des plus saines. J’ai parlé de cet écrivain à Calmann-Lévy qui a semblé s’y intéresser.
Reste le troisième ouvrage, le plus contesté je vois, « La Révolte des Esprits » d’Aczel et de Méray, et c’est là-dessus que je vous dois des précisions.
Certes, cet ouvrage a été commandé par {Praeger|} et paraîtra aux Etats-Unis au cours de l’année prochaine. Certes il en existe une traduction anglaise qui pourrait être, à la rigueur, retraduite en français. Si tout de même je désire pouvoir plusieurs raisons :
1. L’ouvrage a été conçu, dans sa version anglaise, dans la perspective de la publication aux Etats-Unis. Il renferme quantité de détails qui, pour le public français sont soit déjà connus soit, au contraire trop peu développés et demanent de plus amples explications.
2. Le manuscrit original comporte 650 pages. C’est trop pour un éditeur français. Avec la collaboration des auteurs, et en particulier celle de Méray, je voudrais le ramener à 350 pages en réécrivant certaines parties.
3. Les doubles traductions, même quand elles sont faites par un bon traducteur comme ce fut le cas par exemple du traducteur anglais de Niki, entaînent nécessairement des erreurs et des contre-sens regrettables par rapport au texte original.
Enfin je devrais vous dire aussi un mot de la façon dont Manès Sperber, dont la sollicitude pour la question hongroise nous touche tous profondément, s’est trouvé mêlé à cet imbroglio.
L’été dernier, après l’exécution de Nagy, Sperber a appris qu’Aczel et Méray préparaient un livre sur les évènements ayant précédé la révolution hongroise, et pour se documenter sur cette période en vue d’un article qu’il devait donner à Preuves il eut un entretien avec les deux auteurs. Ces derniers lui promirent qu’une fois la traduction anglaise achevée ils lui montreraient le manuscrit. Ce qui fut fait.
Pendant le dernier séjour d’Aczel à Paris, Sperber demanda aux deux auteurs de venir à son bureau pour leur communiquer son opinion sur leur ouvrage. Après avoir formulé quelques critiques de détail, notamment en ce qui concerne la longueur du manuscrit, il les a très chaleureusement félicités, soulignant que cet ouvrage « écrit à la fois avec de l’esprit et du coeur » devait absolument être connu des intellectuels français tant l’expérience qu’il décrit est boulversante. Il a dit, effectivement, qu’il se concerterait avec vous pour examiner la manière la plus efficace d’y parvenir.
Les choses ne sont pas allées plus loin. Ce que vous avez fait remarquer à propos de la situation d’Aczel et de Méray, à savoir que ni l’un ni l’autre ne sont dans une mauvaise passe, et que leur sort est infiniment plus enviable que celui de bien des écrivains restés en Hongrie est parfaitement juste. Le malentendu vient sans doute de ce que vous avez pu avoir l’impression que Méray et Aczel essayaient de vous forcer la main, par personne interposée. Il n’en est rien, croyez-moi. Ni l’un ni l’autre ne vous demandent rien pour ce livre. L’essentiel est qu’il puisse voir le jour, et je partage ce désir.
Excusez-moi de cette longue lettre, mais je tenais à remettre les choses au point. En attendant votre réponse je reste votre bien dévoué