GAR395
Language: French
Repository: Petőfi Museum of Literature
Document type: Typed letter
Publisher: Tüskés Anna (24-07-2017)
Folio number: 1
Cher Monsieur Nadeau,
revenant d’Italie, je retrouve ici Les Lettres Nouvelles avec mon conte (Deux femmes), et je dois vous avouer en toute sincerité – en vous priant de ne pas m’en vouloir – que je suis désolé. Je sais bien que je parle et écris un français très mauvais, tout de même je crois connaître suffisamment la langue pour avoir une opinion plus ou moins juste sur le style d’une oeuvre. Eh bien, ce qui se dit d’être la traduction de ma nouvelle, c’est sa caricature, ce n’est pas mon texte que je retrouve, mais sa transposition en lecture pour jeunes filles, un compte rendu plat de ce que j’ai écrit. Comment est-ce possible qu’un traducteur qu’on dit être un bon poète, fasse un tel travail ? Il manie mon texte avec une désinvolture comme si c’était sa propriété à lui, il raccourcit, il raie des phrases entières, il en ajoute de son propre cru, il omet presque toutes les tournures un peu difficiles qui demanderaient un travail de l’imagination, en somme il réussit de faire de ma nouvelle que je crois être la meilleure de toute mon oeuvre, une platitude illisible. Et pourquoi avoir omis les caractéristiques du dialogue ? les fautes de langagae de la vieille femme allemande qui auraient pu être recréées d’une manière tout à fait discrètes ? le rudesse un peu scabreuse du langage de la jeune femme qu’il se croit tenu d’adoucir comme s’il s’agissait d’un livre pour la jeunesse. Les couleurs du dialogue jouent un rôle des plus importants dans le dessin des caractères qui sans eux perdent non seulement leur saveur, mais le sens même de leur existence.
Pourqoui vous dire tout cela, vous n’y pouvez rien, ne sachant pas le hongrois. Mais je dois me défendre contre de telles atrocités et empécher – si possible – qu’elle se repètent. Comme la nouvelle doit paraître dans le recueil de contes dans l’édition du Seuil, je suis forcé de communiquer à l’éditeur mon opinion sur cette traduction et ceci je ne veux pas le faire à votre insu. Et puis à qui me plaindre sinon à celui qui était – à ce que je sache – le premier à me publier en France et qui doit être bien désenchanté en lisant signé par moi une pareille nullitude.
Je m’excuse encore une fois, cher Nadeau, de vous avoir dit tout ce que je pense sur cette affaire pénible et très douloureuse pour moi. Bien le vôtre
P.S. Et je n’ai même pas mentionné qu’il y a un tas de malentendus dans la traduction, effet d’un travail superficiel et insoucient.