BLE PC 273

Landrichamps par Givet (Ardennes)
Date: 21-02-1963
Language: French
Repository: Private ownership
Document type: Letter written by hand
Publisher: Tüskés Anna (22-12-2017)
Folio number:

Cher Monsieur,

Sortant d’un travail accaparant et épuisant, j’ai rouvert le dossier „Hongrie” et je me demande si je n’ai pas droit à quelque remords vis-à-vis de vous: ai-je bien fait ce que je devais, après certaine lettre de Georges Kassai où votre nom revient deux fois?...C’était à propos d’un article de vous dans „Csillag” (que d’ailleurs je n’ai pu me procurer à l’Institut Hongrois à Paris, comme Kassai m’avait conseillé de le faire.

Je vous dois des remerciments pour l’attention que vous avez accordée à ce travail, et ceci d’autant plus que celui ci, en dépit de tout le bien qu’on a dit de ma version de József Attila et d’Ady Endre, n’a été que médiocrement reçu dans l’Anthologie Hongroise parue au „Seuil” à Paris…

Et ici il me faudrait ouvrir une longue parenthèse pour expliquer le sens que j’attache à la traduction poétique. Je ne vous enflègerai pas une „leçon” sur ce thème, qui pourtant en vaut la peine. Je ne ferais d’ailleurs répéter ce que j’ai dit en écrit pour justifier une poésie qui n’a oublié ni la pensée interne, ni la musique, ni la „danse„ du vers, trois exigences particulièrement légitimes quand il s’agit d’une prosodie rassi exigeante que celle du hongrois, où l’idée en même temps [?] et chante [?] et où par conséquent, le sens s’appuie sur une cadence suprêmement significative…Je vous aurais raconté, pour illustrer cette exigeance majeure, comment je me faisais lire – donc „marcher” et „chanter” le poème traduit phrase par phrase, et comment, l’ayant ingéré et tout retentissant de lui,de sa substance, je devenais presque sans le savoir, le marcheur et le chanteur en second… Ayant reçu la métrique hongroise, si agissante et organique et bien faite pour me plaire, je me doutais – et me sens toujours – d’autant plus le droit de me défendre contre les critiques de mes deux co-traducteurs mêmes (Gara et Németh), que ceux-ci, aux passages cruciaux, étaient rarement d’accord, et ainsi me donnaient presque nécessairement raison… Ce que je sais, c’est que , tombé dans l’espèce de réverie qui sourd aux limites de l’inconscient, je n’avais plu qu’ à laisser le poème s’”agir” lui-même, aussi étonnant pour moi que pour quiconque, et portant sa vérité sur ses formes et ses couleurs… C’était à ce point que Nemeth plus d’une fois me confessa qu’il en était arrivé à se réciter mes poèmes indifférément en hongrois ou en français… Ce qui n’a pas empêché „Ady”d’être refusé aux éditions Corvina …parcequ’il ne faut pas faire de peine aux éditions Seghers!... Et je suis d’autant plus à l’aise pour le dire que – vous le pensez bien – je veux rester au-dessus de l’argent (Je vous dirai par exemple, que je n’ai pas reçu un sou pour le József Attila tiré chez Cserépfalvi).

Je devais vous dire tout cela, et je suis heureux de vous l’avoir dit.

D’autre part, j’ai envoyé, il y a deux jours aux éditions Mora Ferenc (en réponse à une lettre de M. Kováts Miklós) le manuscrit d’un roman qui va être publié en France: „ON MEURT TROIS FOIS” Je crois que vous êtes lecteur de cettte maison, et j’ai simplement voulu vous signaler le fait, en vous disant toutefois – et bien que j’aie assez publié pour ne pas m’”emballer” - que Stock a vu là un „chef-d’oeuvre” etc.

J’ajoute également que je demande à M. Kováts Miklós des nouvelles de la publication - acceptée en principe – de „Jacques Thibault”dont le contrat devait être signé en juin 62.

Et ceci m’amène à vous signaler que cet ouvrage n’a rien d’un quelconque rapetissage, et que je suis en train de payer assez cher l’ „honneur” d’avoir joué, dans la gestation des „Thibault”, un rôle dont l’importance m’est surtout apparue après le numéro spécial de la nrf sur R.M. du Gard. Tous les auteurs de thèse de doctorat m’ assailli, en France et ailleurs, et cela continue.

On me demande les lettres de RMG – et même mes lettres à lui! comme si j’avais gardé copie de celles-ci, réponses aux plus de 350 conservées!

Voici au moins l’essentiel de ce que je me devais de vous dire.

Je n’ai oublié qu’un mot: MERCI!

En toute sympathie, bien vôtre

Marcel Lallemand

P.S. A propos de ces „Thibault” il est vrai que j’ai déterminé RMG à changer le sens et le cours du roman. Telle était cette „amitié-combat”