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Franco-Hungarian Literary Relations

RJ_IGY090

9 Jozsefhegyi 1025 Budapest Hongrie
Date: 25-06-1976
Language: French
Repository: Private ownership
Document type: Letter written by hand
Publisher: Tüskés Anna (30-04-2017)
Folio number:

Cher Jules, chère Flora

Nous avons appris avec joie la naissance de Valentin. Un prénom pareil le destin à aimer et à être aimé ! Aimé, il l’est déjà bien sur, tout autant qu’innocent dans ce monde qui ne l’est guère ! Yvonne et moi disons notre très affectueuse pensée à Ika et à son mari. Anne-Marie va leur écrire directement si elle ne l’a déjà fait. Merci de ce que vous m’écrivez, Flora et toi, au sujet de mon petit recueil de nouvelles. Ce sont là des textes déjà anciens, presque oubliés sous des files de manuscrits. Je me suis décidé à publier cela... parce que j’avais besoin d’argent. Les Goncourt ont sélectionné 4 livres de nouvelles pour leur bourse annuelle, mais l’Engrenage est arrivé en 2ème position. C’est Antoine Blondin qui a eu le pactole. Enfin, il me reste les droits d’auteur ! Cela dit, il me semble que Flora devrait aimer la courte histoire – vraie (comme les autres) – qui s’intitule Chien ronge et cheval volant. Même avec toutes les réserves que tu sais, il ne m’a pas déplu que Wurmser, me consacrant toute sa chronique de l’Humanité, mette l’accent sur cette nouvelle et dise qu’elle « restera ».

Le thème de ces pages, le nom de Flora, l’admiration que j’ai pour elle et pour toi-vous-deux m’amènent à te parler de Egy házaspár sírfölirata. J’aurais voulu te faire plaisir en traduisant ce poème (et les deux autres parus avec celui-ci dans Kortars) mais je n’ai plus le cher Gara (sa photo est en face de moi) pour guider mon ignorance. A Varsovie, où je participais à un Congres des Sociétés d’auteurs il y a quelques jours (dont celui de la Fête-dieu), c’est Hubay Miklos qui m’a remis ces textes, qu’il avait dactylographiés exprès pour que nous travailliions dessus. Une rage de dents d’Hubay et maints avatars du Congres en question ont empêché notre collaboration. Mais Hubay m’avait donné le sens général de cette épitaphe ; à peine rentré, j’ai bondé sur le dictionnaire Eckhardt. Mais le résultat de mes efforts est dérisoire. Je passe à coté, je la fouille...

Epitaphe pour deux époux

1. La femme qui se consacre aux enfants anormaux toute sa vie

(mais n’y a-t-il pas une notion de « porcherie » à propos de l’établissement ?)

Viens ! Viens, viens ici !
Ta maison est là, dehors.
Viens ! Viens ! viens vite
Même si Dieu doit t’attendre
Viens ! Viens ! Viens !
Nous retrouverons la raison. ou « reviens ! » ?
Viens ! Viens ici ! sors de terre !
Ensemble nous vaincrons le néant.

2. L’homme – l’époux – dont l’idéal fur de la protéger, toute sa vie

Il serait bon, bien sur, que ce soit
Lui qui détruite le couvercle, pas les vers
Ni la pourriture !
Dans le tombeau, quand retentira la trompette du Jugement
Pourre-t-il être avec elle sur les ronges

Mais ça ne va pas du tout ! Ne peux-tu pas trouver un moment pour me mettre sur les rails ? Je plaire quelque chose de très grand, de très beau, et je suis là comme un idiot. J’enrage. Et pas moyen de compter sur Anne-Marie, abstraite dans et par ses histoires professionnelles et qu’en ne voit que pour l’embrasser. Et hop ! Elle est déjà partie, heureuse, semble-t-il, et c’est le principal, le pain mouillé de joie de nos vieux jours, avec larme à l’œil quand même. Pardonne-moi ces visibles tentatives d’appréhender ta langue, qui sait tout dire en quelques mots – et qui est si riche en variations imperceptibles pour un sauvage « cartésien » de chez nous.

On imprime chez Seghers une sélection 34.74 de mes poèmes. Un gros bouquin. Je voudrais écrire des tas de choses mais j’ai tant de travail administratif à la Société des Gens de Lettres que je ne trouve pas le temps de me pencher sur moi-même. J’ai beaucoup voyagé ces temps-ci (Portugal, Grèce et Pologne) toujours pour des questions de droits d’auteur et de conventions internationales. On a quand même un moment pour regarder les gens, les lieux... Et c’est parfois désolant, bien sur, mais quand on aime « ce-qui-existe-avec-nous-et-par-nous », on revient heureux quand même.

Je t’embrasse je vous embrasse

Je voudrais te / vous voir

Jean


Publications

Tüskés Anna : Jean Rousselot levelei Illyés Gyulához. Válogatás = Lymbus 2009. pp. 365-409.

Tüskés Anna : Jean Rousselot et Gyula Illyés au miroir de leur correspondance (1956─1983) = Revue d'Études Françaises 18 :(hors série) 2013.

Christophe Dauphin–Anna Tüskés : Les Orphées du Danube: Jean Rousselot, Gyula Illyés et Ladislas Gara. Suivi de Lettres à Gyula Illyés, par Jean Rousselot. Soisy-sur-Seine, Éditions Éditinter, 2015, 372-374.