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Franco-Hungarian Literary Relations

RJ_IGY029

90 r. de St-Nom L’Etang-la-ville S.O. France
Tihany Hongrie
Date: 04-09-1961
Language: French
Repository: Private ownership
Document type: Typed letter
Publisher: Tüskés Anna (30-04-2017)
Folio number:

Cher ami,

Ma première lettre (nous sommes arrivés hier après-midi) ne peut être que pour vous. Aussi bien, nous ne nous sommes pas vraiment quittés encore ; les kilomètres ne sont rien ; et vous aviez bien raison de parler de « famille » ; l’intégration est faite, définitive et profonde. Tout au long de la route, nous n’avons guère fait que parler de vous trois, de vous tous, et nous savions bien que vous-même, Flora et Ika parliez de nous dans le même temps. Que de choses pénétrées, mieux comprises, situées comme il faut, dans leur juste poids de chair et de sang... Mais cela fait encore dans ma tête tout un remuement qui se mélange avec celui du paysage et des roues. Sopron ne nous a pas déçus. On y travaille ferme à restaurer les façades. Les voûtes, quant à elles, n’ont pas bougé ; nous avons lorgné, humé, admiré. Le soir nous couchions dans un village autrichien, très loin déjà. Le Ier, nous avons traversé le Tyrol, visité Innsbruck qui est d’un très grand pittoresque ; la partie moyenageuse s’y marie très bien à la partie baroque, laquelle prend des allures d’opéra italien ; nous avons passé la nuit, peu après, dans une étrange auberge qui doit être ancien couvent, pleine de meubles et de sculptures bizarres, avec des grappes de maïs et des poignées de blé bercées par un christ en bois digne à la fois de la statuaire catalane et de la peinture de Grünewald. Vous connaissez la route, les façades peintes en trompe-l’œil, les montagnes enneigées, les gorges boisées, les walkyries en tablier mauve. La troisième étape fut Lure, franchi Belfort, son lion et sa « trouée ». La Dauphine filait, allègre... Hier soir, elle a eu droit à un shampoing. Et nous aussi... Dès ce matin, j’ai téléphoné à Imre ; je le verrai ce soir ; nous mangerons du salami ensemble ; il doit aller à Bruxelles, puis à Knokke ; nous nous retrouverons là et il est probable que je le ramènerai en voiture. Vous aurez de nos nouvelles très bientôt.

Excusez la graphie mécanique. C’est pour aller plus vite. Je suis lancé dans le dépouillement de mon courrier. Exactement une caisse de 50 / 50 ; mais je découvre que les trois-quarts peuvent être brûlés ou laissés en souffrance. La terre a tourné sans moi pendant un mois ; elle continuera de même... Je vais aller aux éditions Seghers et m’occuper de vous faire parvenir les livres dont vous avez besoin. Il y a un Leopardi récemment paru. Je vous l’envoie directement.

Quand vous aurez un moment, voulez-vous me dire le nom du médecin qui nous a si gentiment reçus ; de même le nom (et adresse) du poète de Pecs qui nous a pilotés. Et si je pouvais avoir un exemplaire de la revue de Pecs, cela me ferait plaisir. Même chose pour le journal « Es », que je ne retrouve pas dans les bagages (bon cœur, mais mauvaise tête...)

Je viens de m’interrompre pour aller ratisser le jardin recouvert (déjà) de feuilles mortes. L’automne est à nos portes... Il fait encore chaud, la forêt est magnifique. Yvonne fait la lessive. Anne-Marie prépare sa valise pour demain. J’ai remis l’horloge ancestrale en marche. Bref, la maison recommence à respirer. Je ne voulais que vous envoyer ce bulletin de santé, vous embrasser, vous remercier aussi, même si vous n’aimez pas ça, mais vous ne m’empêcherez pas de vous dire que ce fut magnifique, cette chaleur du cœur, ce naturel, cette abondance du dehors et du dedans. Oui, cher, très cher Gyula, et vous, très chère Flora, et vous, gracieuse jeune fille, et vous, la marraine au grand cœur, merci, merci du fond de l’être.

Votre

Jean Rousselot


Publications

Tüskés Anna : Jean Rousselot levelei Illyés Gyulához. Válogatás = Lymbus 2009. pp. 365-409.

Tüskés Anna : Jean Rousselot et Gyula Illyés au miroir de leur correspondance (1956─1983) = Revue d'Études Françaises 18 :(hors série) 2013.

Christophe Dauphin–Anna Tüskés : Les Orphées du Danube: Jean Rousselot, Gyula Illyés et Ladislas Gara. Suivi de Lettres à Gyula Illyés, par Jean Rousselot. Soisy-sur-Seine, Éditions Éditinter, 2015, 304-306.