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Franco-Hungarian Literary Relations

GYA092

Date: 30-12-1958
Language: French
Repository: Petőfi Museum of Literature
Document type: Typed letter
Publisher: Tüskés Anna (11-02-2018)
Folio number: 2

Mon cher ami,

merci pour votre lettre qui m’a beaucoup touché. Soyez assuré qze je comprends tout à fait votre sentiment.

Je vous félicite pour votre accession à un poste de responsabilité qui vous revenait depuis longtemps. Non que votre prédécesseur soit un homme sans talent mais ses défauts de caractère ont considérablement contribué à la détérioration des relations universitaires entre nos deux pays. Vous avez raison de vous en inquiéter. Nous sommes tombés à zéro. La Hongrie ne joue pas, dans l’esprit des Français de 1958 un rôle plus important que celui du Ghana ou de la Guinée. Sans doute même un rôle moindre. Il est oiseux d’opiner sur les causes de ce désastre. C’est désormais un fait dont il faut tenir compte. Que pouvons entreprendre pour y remédier? D’abord, rétablir la documentation et l’information concernant les choses de Hongrie. En tout, j’ai reçu cette année 5 numéros de Kortárs (5, 9, 10, 11, 12), 4 numéros de Nagyvilág et 1 seul numéro d’Élet és irodalom. Je n’ai pas reçu un seul livre concernant la littérature. Le plus clair des publications qui me sont parvenues est fourni par les périodiques linguistiques (encore que Magyar Nyelvőr et Magyar Nyelv ne me viennent que soporadiquement). Ajoutons un livre de linguistique de temps en temps et c’est le bout du monde! Au total, à peine le 1/10 ou le 1/12 de ce que je reçois de Finlande où même les éditeurs privés me comblent de belles publications merveilleusement présentées.

Comment voulez-vous que je sache ce qui se passe chez vous? En second lieu, rétablir l’échange des personnes. Envoyez-nous des boursiers et recevez les nôtres. Envoyez-nous des conférenciers.

Notre enseignement ici souffre du manque de livres et surtout de dictionnaire. Nous ne disposons pas d’un dictionnaire hongrois-français utilisable. Le mien est épuisé. Nous ne disposons pas non plus d’un dictionnaire français – hongrois qui puisse rendre des services à nos élèves. Le monstre qui a voulu remplacer le mien est simplement impossible à manier. Depuis cette année, nous avons une ronéotypie de mon manuel resté inédit depuis 20 ans. C’est un progrès. Mais c’est insuffisant. Très peu d’ouvrages hongrois sont traduits en français. Encore ces traductions sont-elles simplement illisibles. Il y a trente ans que je réclame la constitution d’une commission franco-hongroise de traduction et la publication d’une collection des classiques hongrois. Y aboutirons-nous?

Pour moi, vous le savez, mes sentiments de profond attachement pour le peuple hongrois n’ont pas été altérés par les déconvenues personnelles que j’ai connues toutes ces années-ci. Mais je suis sans moyens matériels. Je fais ce que je peux. Malheureusement je ne peux pas grand’chose. J’ai été très touché par les marques réitérées d’intérêt qui m’ont été prodiguées par certains de nos collègues et amis hongrois. Je leur en suis très reconnaissant. Toutefois, cette satisfaction toute sentimentale que j’en épreuve ne m’apporte qu’un réconfort purement moral. Ce n’est pas suffisant pour conférer de l’efficacité à notre action. L’édition d’un manuel de hongrois, la réédition de mon dictionnaire, la publication d’une série de traductions de valeur littéraire certaine seraient le programme minimum d’une action en faveur de la diffusion de la connaissance de la Hongrie. En intensifiant simultanément les échanges de personnes, cela permettrait d’envisager une reprise lente mais à peu près sûre. Trouverons-nous jamais les moyens matériels pour réaliser ce programme pourtant modeste? Représentez-vous que nous travaillons ici dans des conditions très difficiles. D’abord la chaire que j’occupe est de „langues finno-ougriennes” non de langue et littérature hongroise. Je suis tenu de m’y partager en trois: hongrois, finnois, estonien. Vient là-dessus la grammaire comparée ouralienne. Puis la linguistique générale vers laquelle j’ai été amené à me diriger de plus en plus au cours de ces dernières années où le secteur hongrois m’a laissé chômer. Enfin, j’ai été sollicité de m’occuper du français, ce que je fais depuis 1947. La publication de mes Procédés expressifs du français contemporain a reflété cet ensemble de recherches. Je n’y aurai certainement procédé si j’avais eu de quoi m’occuper davantage de choses hongroises mais on ne travaille pas sur rien et je manquais de la documentation nécessaire et aussi des contacts indispensables. Vous connaissez trop la France et Paris pour ignorer que nous ne pouvons pas demeurer éternellement à attendre que les événements veuillent bien arranger nos affaires. Devant la difficulté que j’ai rencontrée à m’occuper des choses de Hongrie, j’ai été contraint de tourner mon activité vers d’autres horizons. J’avais projeté une grammaire hongroise descriptive que j’ai dû abandonner. J’avais espéré produire un ouvrage sur l’histoire de la littérature hongroise mais ce projet est également tombé à l’eau. Bien d’autres projets l’ont suivi. Rien n’est plus vain que de permettre en question le passé mais je vous mentirais si je vous dissimilais que l’on me fait souvent ici reproche d’avoir consacré trop de temps au hongrois. Si j’avais suivi le cours premier de ma carrière, qui était celle d’un germaniste, j’aurais évidemment abouti à une situation universitaire plus enviable que celle qui m’est faite actuellement. En particulier, cela m’aurait permis quitter Paris ces années-ci pour quelque poste de haut rang en province car la vie parisienne devient vraiment exténuante. Les 861.000 voitures particulières qui roulent tous les jours dans nos rues nous assourdissent. Le rythme trépidant de l’horaire parisien broie tout. Pour écrire ou même simplement penser un peu lucidement, il faut se retirer loin de Paris. Or l’enseignement du finno-ougrien est enchaîné à l’établissement de la rue de Lille. Cela signifie 9 mois de séjour dans notre impossible capitale.

Je sais bien que des projets grandioses vont voir le jour en ce qui concerne le développement de l’enseignement en général et de la recherche en particulier mais il s’agit soit de recherche scientifique soit de science purement théorique. Nous allons voir de plus grandes facilités pour faire de la linguistique générale mais pas pour l’étude concrète des choses hongroises. La seule améliration qui pourrait être espérée serait celle qui résulterait d’un accord culturel franco-hongrois. Mais y est-on disposé d’un côté plus que de l’autre?

Les autorités hongroises de Paris ne nous apportent, est-il besoin de le préciser, aucune sorte de soutien. L’Institut Hongrois se meurt, faute de crédits. On y fait de temps en temps un peu de musique devant une poignée d’auditeurs de bonne volonté. La suite innombrable de bévues commises depuis 1949 a détourné de l’Institut le public vraiment intéressant. Les sottises ajoutées par la Société France-Hongrie ont fait le reste. Il faudra des années de travail pour rattraper tout cela et faire revenir rue Pierre Curie quelques véritables amis de la Hongrie. Je m’explique. Cela ne tient pas à la conjoncture politique internationale. Les Polonais rassemblent des auditoires de choix. Il s’agit de fautes personnelles sur lesquelles je ne veux pas m’étendre davantage. Si en l949, un homme avisé nous avait été envoyé pour diriger l’Institut, les choses n’auraient pas pris cette tournure. Aujourd’hui, il faudrait quelqu’un car Gergely est débordé de travail et il est sans moyens matériels. Ne pourriez-vous pas suggérer à qui de droit de nous envoyer un bon francisant dans la force de l’âge, actif et organisateur?

Excusez, cher ami, tous ces épanchements de coeur. Je m’arrête mais auparavant, laissez-moi vous souhaiter une bonne et heureuse année. Et saluez tout le monde autour de vous. Votre dévoué

Aurélien Sauvageot