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Franco-Hungarian Literary Relations

SA014

Date: 22-10-1981
Language: French
Repository: Petőfi Museum of Literature
Document type: Typed letter
Publisher: Tüskés Anna (01-09-2017)
Folio number: 3

Cher ami,

merci de votre lettre et de votre livre dont la dédicace m’a particulièrement touché. [...] permettez-moi de vous faire part de quelques remarques qui me sont suggérées par la lecture des coupures envoyées. [...]

4) Il faudrais allonger la liste des écrivains français qui sont passés à Pest entre les deux guerres. Il y a eu Henri Bordeaux qui, à son retour, a publié « Au pays des deux Elisabeths ». Il avait été invité par les gens du Kurzus dans l’espoir qu’il écrivait quelque chose qui pourrait leur concilier le public français conservateur. André Salmon, Raymond Recouly, Claude Anet (l’auteur du Mayerling qui a été filmé deux fois et a connu un grand succès), Jean Giraudoux et Paul Morand. Ces derniers ne sont pas resté très longtemps, juste entre deux trains, pour se rendre à Bucarest. Je les ai rencontés les uns et les autres (sauf Henri Bordeaux). Ici, il faut vous dire que les intellectuels français de passage, selon leur tendance, étaient des amis de Gachot ou des miens (et de Carrère), comme Jules Romains, par exemple.

5) Au sujet de Gachot, je ne crois pas qu’il ait été le secrétaire de Cocteau. Les lettres de ce dernier qu’il m’avait fait lire, un peu pour m’impressionner, c’était tout au début de son séjour en Hongrie, alors que nous l’avions fait loger à Eötvös Kollégium, laissaient supposer tout autre chose. Le fait est qu’il était très attaché au petit clan des gens du Boeuf sur le Toit. C’était, pour Cocteau, l’époque du Potomac, etc. J’avoue que je n’ai jamais été attiré par ce que vous appelez l’art d’avant-garde. Chacun a ses goûts et j’ai le droit de ne pas aimer Picasso (sauf sa période figurative) ni Vásárély ni d’autres encore. Il est vrai que je n’aime pas non plus Prévert. Mais passons. Gachot a été une sorte d’ambassadeur d’un certain genre d’art français qui a ses amateurs (le pauvre Pompidou, par exemple). Par ailleurs il a cherché en hongrois les équivalents de ses auteurs français favoris. Il y en avait, en littérature, assez peu avant la guerre. Personellement, comme vous savez, j’étais à la recherche de la littérature populaire parce que ce qui m’importait surtout, c’était de saisir la spécificité hongroise. Je n’étais pas venu pour retrouver la világirodalom qui obsède et a obsédé tant de vos écrivains mais pour apprendre à discerner ce qu’était l’apport proprement hongrois en littérature surtout mais dans les arts en général. Seulement voilà, rien n’est plus difficile que de découvrir ce qui est propre d’une civilisation.

Mais revenons en à Gachot. Il ne s’occupait pas de politique, ce qui s’explique quand on se rappelle que son père était un notable important d’Angoulême et qu’il a dirigé une succursale non moins importante du Comptoir d’Escompte. Il y avait donc un contraste entre ses relations dans le monde hongrois qu’il fréquentait et son indifférence politique. A la faveur de la guerre, il s’est introduit à la Légation de France où on appréciait ses services, un peu trop même puisqu’il s’est cru obligé d’envoyer au Quai d’Orsay, sous couvert de son ministre un rapport où il dénonçait la « double activité » de Kelemen Imre qui, vous le savez, était alors l’un de mes meilleurs collaborateurs à la section hongroise des émissions vers l’étranger de notre Radiodiffusion. Il avait fait valoir que Kelemen écrivait dans l’organe officiel du Parti communicte hongrois et qu’il était lui-même communiste. A la suite de quoi, la Direction des émissions vers l’Etranger m’a sommé de me séparer de lui. Cet incident et d’autres inforations venues toujours de la même source ont entraîné mon éviction de la Radio. Vous savez le reste.

Vous comprendrez que dans ces conditions, j’observe une certaine réserve au sujet de Gachot qui a cru devoir faire du zèle. Par la suite, une fois expulsé de Hongrie, il a essayé d’obtenir le poste de répétiteur de hongrois à l’Ecole Nationale des Langues Orientales (ce poste était occupé par Dobossy László qu’à ensuite remplacé Gergely János). C’est tout.

Une fois de plus je regrette que nous n’ayons pu avoir d’entretien depuis si longtemps. Quand passerez-vous dans nos parages ? Vous auriez l’occasion d’observer bien des choses ontéressantes.

En attendant, croyez-moi votre toujours dévoué Aurélien Sauvageot

Post-scriptum :

Au moment de poster cette lettre, j’ai trouvé dans le Figaro l’article que vous trouverez découpé ci-joint et auquel je joins deux autres coupures très significatives à différents égards.

Je ne joindrai aucun commentaire à ce qui est écrit dans la première coupure présentée assez tapageusement, du point de vue typographique. Vous êtes mieux renseigné que moi sur cette affaire. Je ne peux tout de même pas ne pas me rappeler certaines choses. En particulier, je n’oublierai jamais l’après-midi pathétique passé à l’{Institut Hongrois|} (18, rue Pierre Curie) le 25 octobre. Gergely János, qui dirigeait l’Institut par intérim, venait de rentrer de Pest qu’il avait quitté la veille même de la grande manifestation du 23. Il m’avait demandé de passer le voir pour me mettre au courant de ce qu’il avait fait là-bas. Il s’agissait de fournitures de manuels scolaires que votre gouvernement avait la générosité de nous donner et que nous mettions entre les mains de nos étudiants comme vous vous en souvenez peut-être. Il y avait également d’autres petites questions d’ordre universitaire et scientifique qu’il s’était chargé de régler et il était revenu passablement satisfait des résultats obtenus auprès des instances auxquelles il s’était adressé. Notre conversation fut interrompue par l’arrivée en trombe de Fejtő qui était alors au Centre d’Information que vous connaissez. Il apportait la nouvelle des derniers développements des événements à Pest. Il nous déclara qu’il faisait dissidence et il était venu inviter Gergely et tout le personnel de l’Institut à en faire autant. Je me suis permis d’élever de sérieuses objections et j’ai conseillé à Gergely de rester à son poste. J’estimais et j’estime encore que c’était son devoir. Il était ridicule de penser qu’une poignée de fonctionnaires dissidents pourrait, de Paris, exercer la moindre influence sur ce qui se passait là-bas. Et puis à quoi un geste aussi futile pouvait-il bien servir ? En 1941, j’avais attendu que Vichy prenne l’initiative de me destituer. Si le pouvoir à Pest décidait de se séparer de ses représentants à Paris, il serait bien temps d’aviser. Je remontrai à ces messieurs qu’il fallait s’en tenir à l’adage anglais que mon parrain britannique m’avait souvent répété : Wright or wrong, my country. Après trois heures d’une discussions véhémente autant que mouvementée, Fejtő est reparti bredouille. L’Institut n’a pas bougé. Il n’en a pas été de même à la Légation qui était à l’époque rue de Berri, comme vous savez. Une partie du personnel s’était, en termes militaires, mutinée et l’écusson de la République Populaire avait été arraché au portail tandis qu’un communiqué tapageur était envoyé à la presse et reproduit par elle dans plusieurs organes dont le « Monde ». Quelques jours après, j’ai rencontré votre ministre plénipotentiaire, Kutas, à qui je n’ai pas dissimulé ma désapprobation. C’est tout juste si les plus excités des dissidents ne parlaient pas de former un gouvernement en exil ! J’ai écrit à cette occasion tant au Monde qu’au Figaro pour mettre ces deux quotidiens en garde contre la « désinformation » dont ils étaient victimes. Le Monde n’a même pas daigné accuser réception de ma rectification et Pierre Brisson, qui dirigeait le Figaro, m’a répondu qu’il était mieux informé sur les mouvements de résistance et les maquis (sic) qui avaient pris le pouvoir en Hongrie. Je dois à la vérité de dire que Fejtő s’est démené comme un beau diable pour se faire valoir, en quoi il a d’ailleurs parfaitement réussi comme vous le voyez par le texte que vient de publier le Figaro.

Le deux autres coupures ont trait à un autre aspect du problème de l’information au Figaro. [...]