BLE_PIM078
Language: French
Repository: Petőfi Museum of Literature
Document type: Typed letter
Publisher: Tüskés Anna (22-09-2017)
Folio number: 1
Cher Ami,
Vous avez eu bien raison de penser que les deux articles que vous avez eu la gentillesse de m’envoyer allaient remuer beaucoup de souvenirs.
En effet, j’ai connu beaucoup de ceux dont il est question dans ces articles.
A propos de Pontigny, je ne sais si je vous ai parlé des dix jours que j’ai passés sous le même toit que Gide, chez un ami commun, éditeur à Neuchâtel (Suisse). J’ai plutôt gardé le souvenir d’un vieillard assez insupportable et je me suis vengé dans un essai consacré à Gide, qui a paru en français dans une revue littéraire américaine et en anglais dans une revue d’Oxford.
Quant aux souvenirs de M. Kelemen, ils évoquent pour moi des rencontres s’échelonnant sur plusieurs décennies. En premier lieu, j’ai été heureux de lire les lignes sympathiques consacrées à G. Andersen. J’ai l’intention de les montrer à notre amie Félicia, qui doit rentrer, vers le 20 août, de la maison de repos où elle se trouve actuellement.
J’ai bien connu Gara ; au début de mon séjour parisien, vers 1925, nous avons même habité le même hôtel. Plus tard, nos rencontres se sont espacées. J’ai appris sa fin par mon médecin, qui était aussi le sien.
Durant mes années d’étudiant, j’ai souvent vu L. Ney. Il exposait sous le nom de Lancelot Ney ; on aurait pu le prendre pour un descendant du fameux Maréchal d’Emprie. Je crois me rappeler que j’ai eu l’occasion de le voir avec Illyes.
J’ai connu Winkler à ses débuts, en temps que fondateur d’une Agence Internationale Littéraire. A l’époque, il était le rival et l’adversaire d’un autre Hongrois, fondateur d’une Agence Internationale Littéraire Internationale. Cet adversaire s’appelait Schwarz Dezső, Didier pour les dames. Dès le début de la guerre, ils ont filé aux Etats-Unis, tous les deux. Comme vous le savez, M. Winkler est devenu un personnage important à son retour en France. M. Schwarz est revenu également et il a créé une maison d’éditions, sous le nom de John Didier. Cela prouve que, si les voies du Seigneur sont impénétrables, un Hongrois arrive toujours à y pénétrer.
Pendant les années d’occupation, j’ai dû éviter tout contact avec des Hongrois susceptibles de me connaître. En effet, vers la fin de cette période, la Résistance m’a placé, sous le beau nom d’Honoré Ruffin, comme interprète chez Tecalemit. En même temps, je collaborais au journal clandestin Mur (mouvements unis de la résistance) de Teigen. Je vous ai dit, peut-être, que, dès septembre 1944, j’ai fait partie de l’état-major de Teigen, comme premier adjoint du directeur de la Presse au Ministère de l’Information.
Dès la sortie de la clandestinité, j’ai repris contact avec les Bölöni, qui s’apprêtaient déjà à rentrer en Hongrie.
Comme disaient deux anciens déportés, évoquant leurs souvenirs un an après leur libération, au cours d’une rencontre fortuite : c’était le bon temps !
Merci, cher ami, de m’avoir fait lire ces articles. Pardonnez-moi d’avoir tapé cette lettre à la machine ; mon écriture, comme l’homme lui-même, se rapetisse avec l’âge. Hommages respectueux pour Madame et meilleurs souvenirs de ma femme. Amicalement vôtre Eugène Bencze