BGY032

P.E.N. Cercle Littéraire International Centre Français
Date: 12-08-1957
Language: French
Repository: Petőfi Museum of Literature
Document type: Typed letter
Publisher: Tüskés Anna (26-08-2017)
Folio number: 2

Mon cher Président, mon cher confrère,

Votre lettre du 1e Juillet m’est arrivée fort tard, et, comme elle est rédigée en anglais, je remarque qu’elle est le double d’une lettre adressée à quelque autre – à Londres, peut-être ? – ce qui expliquerait le retard. Si je n’y ai pas répondu aussitôt, c’est que vous y écrivez des choses extrêmement dignes d’attention ; et je n’ai pas voulu répliquer sans avoir réfléchi, consulté, examiné à nouveau tout le dossier.

Vos explications sont assez cohérentes pour avoir l’adhésion de l’esprit, et vous savez que nous tenons beaucoup à conserver de bons rapports avec le P.E.N. hongrois. Aussi suis-je heureux de connaître maintenant exactement la façon dont vous voyez les évènements. Comme certaines conversations me donnent à croire que vous n’avez pas non plus très bien vu comment s’orientait notre action, permettez-moi de répondre très amicalement et très loyalement à votre lettre. Si chaque centre a le même désir que nous d’éclaircir les choses, il ne doit plus substituer de malentendus entre nous ; et votre délégation trouvera à Tokio l’audience qu’elle mérite.

Les faits matériels, d’abord. Le deuxième télégramme de Budapest, en date du 24 Novembre 1956, rédigé en français, a été expédié à Paris ; il a tout simplement été déposé dans un bureau de poste, chez vous, car c’est un facteur qui nous l’a apporté.

Second point. Si vous examinez le texte des différents télégrammes et motions élaborés par le P.E.N. international et le Centre français, vous observerez que nos prises de positions concernaient la sécurité physique de nos confrères, la solidarité P.E.N. qui nous avait été demandée expressément, et la protestation contre l’interdiction de l’Union des écrivains...dont vous étiez vous-même, mon cher Président, un des dirigeants les plus considérés. Ainsi, aucun de nos actes ne prétendait aller au delà, et encore moins s’immiscer dans le jugement politique d’évènement sur lesquels nous avions trop peu d’observations et d’informations.

Que des journaux se soient emparés de certains appels, pour en dénaturer le sens et la portée, cela ne saurait surprendre ; le monde est ainsi fait que les esprit lucides ne peuvent demeurer dans la juste mesure, entraînés qu’ils sont vers un extrême ou un autre.

Vous nous dites aujourd’hui que Kepes n’était pas habilité à représenter le P.E.N. hongrois, et que ses télégrammes n’engageaient pas votre Centre. Une question aussitôt vient à l’esprit : pourquoi ne nous l’avez-vous pas dit ? Pourquoi le président du P.E.N. hongrois ne s’est-il pas adressé aussitôt à son Président, mais à un journal, comme si vous vouliez nous ignorer. Et puis vous vous êtes tu. Vous savez bien que j’ai écrit à plusieurs reprises, et que les réponses de notre cher Rubinyi restaient volontairement évasives. Le président Bölöny vient à Paris, et, au lieu d’aller expliquer à Chamson ce qui s’est passé, il garde le silence, et repart sans avoir donné signe de vie. Carver m’a dit, de la même façon, que ses lettres demandant des informations restaient sans réponse.

Pourtant, je sais mieux que personne que le courrier n’a, pour ainsi dire, jamais cessé d’être acheminé régulièrement. En sorte que, si nos informations sont incomplètes, c’est que vous ne nous en avez pas donné d’autres.

Vous ne m’en voudrez pas de m’expliquer avec vous, en toute franchise, et en toute amitié ; vous savez quels liens d’amitié et d’affection m’attachent à votre pays. Plus que tout autre, j’ai envie et besoin de comprendre. Il est certain qu’à Tokio il sera question des évènements d’octobre et novembre en Hongrie ; il est de plus en plus certain, pour beaucoup d’entre nous, que ces évènements ont été déplorables à plus d’un titre , et que le recul du temps impose à chacun une vision toute différente de celle des premiers jours. Mais laquelle sera la plus objective, et la plus vraie ? Laquelle la plus conforme à la justice et à la paix des esprits ?

Notre charte nous enjoint d’étudier et de critiques jour après jour les institutions des uns et des autres ; et vous savez avec quelle vigueur la France le fait pour elle-même. J’accepte donc l’image que vous me donnez de votre situation, puisque je vous crois, et que vous êtes mieux placé pour parler et pour voir.

Aussi me réjouirais-je pleinement de voir nos confrères hongrois reprendre leur activité, si une dépêche de presse ne me signalait précisément un article de vous, mon cher Président, dans lequel vous demandez aux écrivains de reprendre la plume, dans lequel vous leur reprochez de continuer de bouder le système actuel. Où est la vérité ? La dépêche et les citations qu’elle fait, constituent-ils un faux ? Vous me direz : voyez le tableau qui est joint à ma lettre ; il montre que les livres sortent, même cette année. En effet, à ceci près que j’ai vu le livre de Toncz sur la Chine, en septembre dernier, et que votre livre sur Ady, mon cher Président, était lui aussi, si je ne me trompe, déjà publié l’année dernière. Qui des autres ? Le livre de Tibor Déry dont je vois la reproduction est-il aussi de ces derniers mois ?

Vous comprenez, chers amis, nous n’avons pas à juger un régime ; et pour ma part je me sens de plus en plus obligé à mesurer mes jugement ; mais nous serions de mauvais amis PEN si nous ne volions au secours de nos amis PEN en danger, quelleque soit la raison pour laquelle ils sont en danger ; ce serait prendre un parti politique que de ne venir à leur aide que dans certains cas, et non dans d’autres. C’est ce que je voudrais que vous compreniez bien. Car j’ai naturellement parlé de votre lettre à nos confrères ; ils ont tous eu la même réaction : « Pourquoi si tard ? Pourquoi maintenant, Pourquoi avoir laissé se prolonger les équivoques, au lieu de donner des nouvelles ? »

J’ai eu l’occasion de le dire, et même de l’écrire (au fait, qu’est devenu l’article que Gereblyès m’avait demandé au mois de Septembre ? A-t-il paru ?), selon notre position, à nous P.E.N. français, rien, aucune divergence, aucune difficulté, ne justifie l’interruption du dialogue ; c’est cela l’amitié P.E.N. – Même si on n’est pas d’accord, il est bon et important de se dire en quoi et pourquoi on n’est pas d’accord. L’explication est le premier pas de la compréhension, et la compréhension est le vestibule de l’entente. Notre ancien Président Paul Valéry a écrit : « La sévérité est nécessairement superficielle. » Que cet esprit calme et modéré ait rejoint là-dessus un homme aussi passionné que Nietzsche : « Méfie-toi de ceux en qui l’instinct de punir est puissant. » - Une telle rencontre est le signe qu’il doit y avoir quelques chose de certain dans cette idée.

Cela dit, j’espère que le Congrès de Tokio sera marqué par une large compréhension les uns des autres. J’ai l’impression que Chamson est prêt à vous soutenir, à soutenir votre centre, dans toute la mesure où il est et sera informé. Comment viendrez-vous ? Par Moscou et Pékin ? Qui sera délégué officiel ? Pour nous, nous quittons Paris le 28 Août au soir. Et je serais content d’avoir de vos nouvelles avant de partir.

Merci de vos bonnes explications, qui nous ont éclairés sur plusieurs points, et croyez, mon cher Président et mon cher confrère, à mes sentiments les plus amicaux.

Jean de Beer secrétaire général du P.E.N. français

P.S. La chambre de {M Ronai|} est retenue pour septembre. La M.I. est fermée, chaque année, pendant le mois d’Août.