SA047
Language: French
Repository: Petőfi Museum of Literature
Document type: Draft
Publisher: Tüskés Anna (26-10-2017)
Folio number: 3
Cher Ami,
à plusieurs reprises, j’aicommencé à vous écritre et chague fois, un incident quelconque m’a interroptu.
J’ai lu votre émouvant nécrologue sur Gachot. Il est parfait. I’l n’y a pas à y changer un seul mot. Singulière nait destinée que celle de ce Français que sa naissance destinait à être comme son père un noteble de Province. Il avait failli devenir un prolesseur d’allemand. Il est « monté à Paris » comme on dit, probablement pour chercher l’aventure et le succès. Les débuts étaient prometteurs; i1 avait réussi à s’introduire dans l’encourage de Cocteau et de son Boeuf sur le toit. C’était l’une des avant-gardes de l’époque. Il s’y était donné corps etâme. Ce qui l’a éloigné de ce milieu, c’est, comme vous le savez, que son père, qui dirigeait à Angoulême la succursale d’une grande banque, lui avait finalement coupé les vivres, le forçant à gagner sa vie. Avec une licence d’allemand, il n’y avait que deux possibilites, enseigner dans quelque collège de province ou accepter un poste d’enseignant à l’étranger. Au momelit où il s’est, résenté au {Quai d’Orsay|} pour s’enquérir de ce qu’ on pourrait lui offrir, il s’est trouvé que dans un pays dont il it; norit tout, un ministre dont il ne savait même pas s’il existait, avait eu l’idée ue demander au gouvernement français de lui envoyer un jeune enseignant qui doublerait le professeur hongrois de français dans une classe finale d’un lycée de Budapest, ville dont il ne savait rien. Ces circonstances ont fait que j’ai vu arriver un petit jeune homme frêle mais vif de mouvement et de parler à qu l’on avait attribué une chambre à {Eötvös Kollégium|}. La Légation m’avait prié de lui faire bon accueil et de le débrouiller. Klebelsberg, qui me demandait assez souvent de me rendre auprés, de lui, m’avait longuement expliqué ce qu’il entendait faire pour perfectionner l’enseignement du français. Il avait imaiginé cet arrangement. Il en avait entretenu {Jean Mistler|} qui s’en était débarrassé en lui conseillant de s’adresser à moi. J’étais linguiste et il ne l’était pas. J’ai fait tout ce que j’ai pu. Gachot m’avait expliqué quelles étaient ses ambitions d’alors. Il idolâtrait Cocteau, adhérait sans condtions à son mouvement et ne tarissait pas d’ éloges pour cette révolution dans la littérature, les arts et même la conceception de la vie. Ces mouvements, qui se croyaient révolutinnarires, de m’étaient pas inconnus. Comme je l’éuuque dans mes mémoires personnels, j’avais entendu parler d’Apollainare avant Gachot. Je connaissais personnellement {Giraudoux|}, Paul Morand. J’avais découvert le cubisme et le peinture nouveau style dès 1916. Mon père était archilitecte et sortait de l’{Ecole Nationale des Beaux-Arrs|}. Mon grand-oncle avait été, comme vous le savez, arxhitecte en chef de la Ville de Paris ; lui aussi, comme mon grand-père était sorti des Beaux-Arrs. Mon peré aurait voulu me voir entrer dans cette même grande école pour y devenir peintre. Les problèmes artistiques m’étaient familiers. C’était mon grand oncle qui m’avait appris à desbiner et j’ai, par un hasard incroyable, un cahier, conservé par ma mère, de dessins que j’ai faits à l’âge de 10 ans. Il s’est trouvé que je n’ai pas eu les mêmes goûts que Gachot et ses amis Nous avons beaucoup discuté de ces problèmes tant qu’il a logé au GoIlège. Quelques semaines après allait sortir son petit recueil de nouvelles « Jeux de dames » dont il m’avait plu. Je le lui avaits dit et je l’avais encouragé à continuer. J’étais et je reste persuadé qu’il aurait réussi en tant qu’écrivain. Vous savez quelle fut la suite. Il a rencontré la Hongrie, sous les traits de cette si sympathique jeune femme eue vous avez connue.
Il y a eu dans la vie de Gachot deux faces. D’une part il a voulu et su faire <...> connaître en Hongrie ce qu il pensait être le visage de la France. D’autre part, mais avec un décalage dans le temps, il a consacré le plus clair de ses efforts à raire connaître la civilisation honroise en France. Au fond, sa démarche a été très sentimentale. Au très fond, il a vécu un roman d’amour. C’est très beau. Vous avez su le comprendre et le dire.
En ce qui me concerne, ce que j’ai toujours regretté c’est que nos relations personnelles n’aient pas été ce qu’elles auraient dû être. Je n’ai jamais pu en discerner la raison dernière. Nos domaines d’action étaient si différents qu’aucun de nous deux ne pouvait porter ombrage à l’aute. [ ?] Tel que vous em connaissez, jai toujours été porté à la conciliation et je crois en avoir donner des preuves. J’e nai jamais oublie les paroles de mon parrain britanique : Live and let live. A plusieurs reprises, j’ai essayé d’établir des relations plus amicales mais en vain.C1est que Gachot, une fois quitté sa chambre du Collège avait pris ses distances. Je ne le rencountraris du’ [ ?] à intervalles espacés et irréguliers. Je m’étais proposé l ’intro duire auprès des écrivains qui m’avaient accueilli. Peine perdue. Pur cette raison, je ne l’ai jamais rencontré chez Babits, Kosztolányi, Karinthy, Móricz, etc. Ni avec Illyés, Déry, Attila József et même Radnóti. Pourtant, il m’a invité à son mariage religieux, à Paris, à léglise St Médard occasion à laquelle j’ai fait la connaissance de ses parents qui avaient bien l’ail de ce qu’ils étaient : des notables cossus. Peu sympathiques au demeurant. Il me faut préciser que Gachot n’a pas moins tenu ses distances avec le successeur de Jean Mistler, mon camarade Jean Carrère, qui était Normalien comme Mistler et moi. Est-ce pour cette raison ? Une fois rentré à Paris, je n’ai plus eu signe de vie de Gachot. Je ne l’ai revu une dernière fois qu’en 1946, à Paris, avec sa femme. Ma première femme et moi l’avions invité aves des amis. Tout le monde attendait de lui qui’il nous relate ce qui s’était passé en Hongrie pendant la guerre. A notre grandedéception, il n’a pas ouvert la bouche et a prétexté de la fatique pour se retirer, au grand désappointement de sa femme qui m’a d’ailleurs toujours montré beaucoup de sympathie. Quand je me suis trouvé à Aix-en-Provence, j’ai appris qu’il était à Nice et c’est l’Institut Hongrois de Paris qui m’a donné son adresse. Je lui ai écrit. Nous avons correspondu pendant deux ans puis il a cessé de me répondre et nous en sommes restés là.
Votre nécrologue, comme je l’ai lu dans És, a suscité deux interventions dont le moins qu’on puisse dire est qu’elles sont indécentes. La première, intitulée A Gazette de Hongrie alapítója, voudrait nous faire croire que c’est son père, à cette madame Kelecsényi Katalin, qui aurait été l’attaché de presse de la Légation de France tandis que Gachot n’aurait été que l’attaché « culturel ». Comme je vous l’ai fait savoir, Gachot n’a jamais été attaché à la Légation. Quant au père de la dame il a été employé à la Légation pour servir d’interpète, ce qui n’est pas même chose. Que le ministre plénipotentiaire en poste ait pris conseil de Gachot es’t non seulement naturel mais certain. Il était le seul Français valable à connaître le pays. A ce compte, je pourrais me targuer d’avoir été attaché de presse (auquel cas Mistler et ensuite Carrère auraient été les attachés culturels) puisque les successifs ministres de France : de Carbonnel, Clinchant et sutrout de Vienne m’ont conctamment consulté. Cela avait d’ailleurs bien agacé Almássy qui avait vu en moi une sorte titkos tanácsos. En quoi il se trompait.
Quant à la Gazette de Hongrie, c’est tout autre chose. Ce minuscule hebdomadaire était le porte-parole del l’Amitié [ ?] franco-hongroise qu’animait le fameux <...> Pekár. La petite dame ferait bien de ne pas trop réveiller certains souvenirs. Je vous qu’elle n’a pas peur de se moquer du monde.
Que Gachot a bien souvent influencé le ministre, c’est ce que nous avons constaté à la section hongroise de la Radiodiffusion Française. Le pauvre Szélpál en sait quelque chose, après Kelemen. L’ambassadriee Suzy Borel, alias Mme Georges Bidault, était de mes amies. J ’ai eu communication des rapports envoyés de Pest au sujet de nos émissions [ ?]. Elles étaient jugées très sévèrement et elles ont servi de prétexte à notre éviction en janvier 1949. Le comte Mihály Károlyi s’en était plaint plus d’une fois. Mais étant donné que c’était de la politique, je n’en ai pas voulu à Gachot. Vous savez d’ailleurs, que mon attitude a été très critiquée par s’autres que lui, à commencer par mes collégus de l’Ecole Nationale des Langues Orientales. Ce qui me rassérene, c’est que les événements ont fini par me donner raison. Vous le savez mieux que personne puisque vous avez vécu temps-là.
Quant au filet intitulé Meghalt egy igazi ember, il n’est pas non plus totalement désintéressé. Ce qui reste évident, c’est que nul n’était plus qualifié que Gachot pour traduire Krúdy. Reste à savoir ce qu’en pensera le lecteur français moyen. Je n’ai pas l’impression qu’il s’enthousiasmera beaucoup pour ce genre de litrérature dont se régalent les esthètes.
Ici, l’été ne nous quitte pas. Il [ ?] est 16 h et nous avons à l’ombre 31°. Les forêts brûlent partout. Cela, n’empêche ni les « festivals » , ni, ici en Languedoc, les ferias, de rassembler 1es foules. Cette année c’est la fête partout et aussi les hécatombes sur les routes.
An moment de clore celte missive, je reçois le dernier numéro d’És où je lis la touchante évocation de Gachot, a vendég tanár. Ce vétérnaire en retrakte a voulu exprimer sa reconnaisance pour l’ami de sa patrie. Une modeste preuve de plus que le peuple hongrois n’est pas ingrat. Je l’avais depuis longtemps éprouvé moi-même. C’est réconfortant.
J’allais oublier de faire allusion à la piteuse réponse de Kultúra au sujet des livres qui pourrirent dans une arrière boutique. Comment se fait-il qu’ils n’aient pensé à rien, ni rien tenté ? Il serait donc plus difficile de trouver un éditeur avec qui signer un contrat que de construire un circuit pour les courses de formule 1 ? Qu’attendent-ils pour prendre contact avec Jean Perrot et le Centre d’Etudes Hongroises de Paris III ? Et s’ils dépensaient moins d’argent en prédieuses devises avec leur Livre Hongrois que personne ne lit ? Et dont la plupart des articles sont dans un français illisible ?; Je ne comprende pas cette passivité. Il est impensable qu’on n’ait rien pu
faire avec l’une de collections de livres dits de poche qui sont les meilieurs diffuseurs actuellement sur le marché français.
Vous nie direz que les Finlandais no font pas mieux et vous aurez raison. Ils nous envoient quatre fois l’an sous te titre Book from Finland, un recueil d’études et des échantillons traduits en anglais, exceptionnellement dans une autre langue quand il s’agit de poèmes. Mais la différence est que les textes sont rédiges pal des Anglais et le poèmes traduits par des auteurs qui sont des connaisseurs du finnois et des écrivains. Ainsi, les traductions françaises sont de Jean-Luc Moreau. Mais si lisible que ce soit eb anglais, cela n’arrange rien parce que les gens auxquels ils s’adressent ne savant pas assez d’anglais pour lire une pareille publication. Eux aussi perdent leur argent. Ils s’imaginent que les intellectuels français maîtrisent tous l’anglais. Quelle erreur ! Et puis, ils tombent bien. Nous sommes en pleine bataille pour la défense du français. [ ?] es bravos gens ne comprennent pas qu’ils se livrent à une véritable provocation.
Je me suis plaint à l’ambassade. Il m’a été répondu que cette publication dépendait d’un organisme spécial sur lequel ils ne pouvaient pas exercer d’influence ! Pour terminer, j’ajoute que ce périodique ne s’occupe que de littérature. C’est un avantage. Une publication qui a l’ambition de traiter de tous les sujets n’intéresse finalement personne. C’est le défaut du Livre hongrois. J’allais oublier de préciser que lestextes traduits en anglais dans Books from Finland portent la mention de leur traducteur anglais. Il n’empoche qu’ils n’auront aucun lecteur en France ni en territoire francophone. On ne saurait être plus, maladroit.
En attendant que Kultúra, Corvina et les autres se décident à faire quelque chose, quitte à faire des économies dans un autre secteur, connnolons-nous à la pensée que la Formule 1 <...> a été un succés énorme. La Hongrie vient de faire sa rentrée dans le monde Occidental. On a enfin compris que votre pays n’éitait pas n’importe quel pays mais qu’il se fistingue [ ?] avantageusement de beaucoup d’autres. Seulement, il faudrait savoir exploiter ce succès.
Si tout va bien, je pense être de retour à Aix le 16 ou 17 septembre. J’espère que ces ligne vous trouveront santé ,vous, et les vôtres. Croyez-moi votie fidèlement dévoué