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Franco-Hungarian Literary Relations

SA010

Date: 02-01-1980
Language: French
Repository: Petőfi Museum of Literature
Document type: Typed letter
Publisher: Tüskés Anna (01-09-2017)
Folio number: 1

Cher ami,

merci de votre lettre et de vos bons voeux dont j’aurai bien besoin et je vous envoie à mon tour les miens dont je voudrais que n’ayez pas trop besoin. Il nous faudra beaucoup de sang froid et de patience dans les temps qui vont venir et qui sont des temps de déraison. Souhaitons que rien ne puisse nous détourner de notre tâche qui est la même et qui doit être poursuivie par vents et marées.

Je vais m’efforcer de répondre aux questions que pose votre lettre.

Puisque vous avez pu lire l’article du Matin auquel j’avais fait allusion, vous avez pu constater combien était sotte cette sortie peu « loyale ». Est-ce qu’on est « raciste » parce qu’on dit qu’on va chez le toubib, qu’on a la baraka ou qu’on livre un baroud d’honneur ? A ce compte, toutes les langues sont « racistes », ce qui n’a d’ailleurs aucune importance car les langues s’en moquent. Ce sont tout au plus les gens qui s’en servent qui peuvent être « racistes ». D’ailleurs, personne ne s’y trompe ici, le terme « raciste » est devenu une injure qui remplace « fasciste », ce dernier étant un peu usé. Au risque de vous faire de la peine, je vous dirai tout net que je n’apprécie pas M. G. Kassai traducteur. Il a massacré A boldog ember, entre autres choses. Vous savez que je déplore ces traductions faites par des gens qui ne sont pas des écrivains français ou au moins des presques’écrivains. Le traducteur, vous le savez bien, n’a pas trop de toute la maîtrise possible de sa langue maternelle pour parvenir à faire passer le texte étranger en français. Même si l’on sait pas mal la langue étrangère, on n’en est jamais totalement maître. L’échec de la littérature hongroise en France est en partie dû aux mauvaises traductions. Mais le hongrois n’est pas le seul à souffrir de ce défaut. Ibsen, massacré par un certain baron Prozor qui ne savait ni le français ni le norvégien, n’a jamais pu s’imposer chez nous. Strindberg s’est massacré lui-même en mettant en français sa « danse de mort » (Döddansen) dont le titre insolite a tout ruiné. Il ne savait pas que cela se dit « danse macabre » en français. Mais il croyait savoir le français après avoir péroré dans les cafés de Montparnasse. Même d’Annunzio s’est rendu ridicule avec son Saint Sébastien et pourtant je puis vous attester qu’il savait vraiment pas mal notre langue pour l’avoir entendu de mes propres oreilles. Naturellement, d’autres causes, que vous connaissez mieux que moi, ont contribué à cet effacement des littératures écrites dans ce que certains ont cru devoir appeler les « petites langues », comme s’il avait des langues petites et d’autres grandes. Pour nous autres linguistes, il y a des langues mal cultivées et des langues perfectionnées et polies, ce qui n’est pas la même chose. Je me suis efforcé durant toute ma carrière signaler qu’une langue comme la vôtre est une grande langue du point de vue de ses qualités expressives et c’est cela seul qui compte dans l’histoire de la civilisation.

Pour l’affaire Bóta, oui, j’étais à ce moment-là le sous-chef du contrôle des informations, section Marine, sous les ordres du Commandant Pelle des Forges qui est mort par la suite en déportation. C’est moi qui ai donné l’autorisation de diffusion.

Je n’ai pas eu sous les yeux la monographie d’Anne Szabó. Sur l’affaire Mécs, j’ai publié un article dans ma revue Etudes Finno-ougriennes (Tome XII, pp 179-190) sous le titre : La poésie hongroise en France : l’épisode Ladislas Mécs. C’est une mise au point car ce qui en a été colporté à l’époque n’était qu’un tissu d’erreurs et parfois aussi calomnies. [...]

Il me reste à vous exprimer à nouveau toute mon amitié. Croyez-moi votre bien dévoué Aurélien Sauvageot