SA012
Language: French
Repository: Petőfi Museum of Literature
Document type: Typed letter
Publisher: Tüskés Anna (01-09-2017)
Folio number: 1
Cher ami,
veuillez excuser le retard mis à vous répondre. J’ai voulu d’abord lire (et en grand partie relire) votre « Arpadine ». En y réfléchir car votre recueil incite à la réflexion.
La première qui m’est venue à l’esprit est qu’il serait utile de faire paraître un tel recueil en français. Et disposer ensuite d’un nombre respectable d’exemplaire pour les distribuer à bon escient. Pas à n’importe qui, n’importe où et n’importe quand. Et puis, il faudrait aussi que la traduction soit impeccable. Mais vous avez assez d’amis français pour la revoir.
Une deuxième réflexion est que vos recherches apportent cette confirmation que les relations entre nos deux pays ont été beaucoup plus profondes qu’il ne paraît. On l’admettait pour ce qui était du moyen âge et du XVIIIe siècle mais c’est encore vrai de nos jours. Je relève constamment dans mes lectures des écrivains contemporains de Hongrie trop d’allusions aux choses françaises, notamment à celle de la littérature et de l’art, pour en douter. La position de la France est encore solide chez vous. Cela me conforte dans le combat que je mène depuis tant d’années pour faire comprendre aux Français que je puis toucher que ce n’est ni à Prague, ni à Bucarest ni à Belgrade que la France a trouvé écho mais à Budapest. Je me suis toujours insurgé contre la néfaste politique d’entre les duex guerres qui recevait ses insprirations des prétendus francophiles de Prague et de Bucareste – les Serbes étaient plus discret ou plus indifférents. Le malheur a voulu que le Kurzus ne pouvait pas gagner des amitiés françaises. Ceux qui se sont alors intéressés à votre pays n’y ont été portés que par l’intérêt scientifique, en dépit des sentiments d’hostilité qu’ils ne pouvaient pas ne pas ressentir à l’égard de ce régime. Ce n’était pas toujours facile, vous pouvez m’en croire. Après, les choses ne se sont pas bien arrangées. C’est le moins qu’on puisse dire. Je n’oublierai jamais l’ambiance de haine de la conférence préliminaire de paix en 1946 quand votre linistre des affaires étrangères a donné lecture de son allocution (que j’avais rédigée à sa demande, comme vous savez sans doute). Je dirigeais alors l’émission hongroise de la Radiodiffusion Française (dont le dénommé Mitterand allait m’écarter brutalement en 1949). J’avais mis les antennes à la dispotion de votre ministre pour s’adresser solennellement à votre pays. Il a pris la parole en tremblant de commotion à la suite de l’accueil qui lui avait été fait par tous les délégués unanimes.
La suite, nous l’avons vécue ensemble, vous et moi. Heureusement, il semble que les gens finissent par comprendre un peu mieux de quoi il retourne. Vous le constaterez par la petite coupure ci-jointe.
Une troisième réflexion est celle-ci : l’action des amis français de la Hongrie a été très réduite puisque je suis parti pour Budapest en 1923 sans disposer du moindre renseignement sur ce qui m’attendait. Dans les milieux intellectuels du Paris de l’époque, on ignorait tout de la Hongrie. Et ce n’était pas l’exhibition de Pekár dans le grand amphithéâtre de la Sorbonne qui avait amélioré les choses. C’est la raison pour laquelle j’ai écrit Découverte de la Hongrie que peu de Français ont lu car les services de ces messieurs du Kurzus ont ramassé le plus possible d’exeplaires afin de faire disparaître le titre des magasins des libraires.
Quatrième réflexion : tout cela confirme, hélas, qu’on ne peut faire fond sur ce qui se passe à Paris. Le grand vent de l’actualité intérieure ou internationale y tourbillonne trop fort et emporte tout. Or les Hongrois n’ont pratiquement considéré en France que Paris. Le malheur est que Paris n’est pas la France. Les mouvements de fond prennent toujours leur élan dans la province, dans ce qu’on appelle aujourd’hui la France profonde. C’est la raison pour laquelle les observateurs étrangers sont si souvent surpris par l’événement...
C’est avec satisfaction que j’apprends votre intention d’écrire un livre sur l’avant-garde française en Hongrie.
Je regrette que vous ne puissiez pas descendre jusque chez nous. Nous aurions tant de choses à nous dire !
Croyez-moi, cher ami, votre bien dévoué Aurélien Sauvageot