RJ_IGY027
Language: French
Repository: Private ownership
Document type: Letter written by hand
Publisher: Tüskés Anna (30-04-2017)
Folio number:
Cher ami,
Je réponds avec beaucoup de retard à votre lettre du 2 juillet. Il faut m’en excuser. La seule raison est l’incertitude où nous sommes restés. Jusqu’à hier, quand à la santé de notre fille londonienne. Quand je dis « incertitude », lisez « inquiétude ». L’accouchement a été long, difficile ; nous n’avions que des nouvelles laconiques et Yvonne ne savait si elle devait prendre l’avion ou non ; la maison de Londres était vide, mon gendre étant allé vivre chez ses parents pendant que Claude était en clinique ; bref, nous étions dans l’attente, pour ne pas dire dans l’angoisse...
Enfin, tout est clair. J’ai eu ma fille au téléphone hier. Elle quitte la clinique aujourd’hui avec sa petite fille : Katherine-Anna et, comme l’on dit, la mère et l’enfant se portent bien... Yvonne a pris l’avion il y a une heure. Elle rentrera ici le 3 août et nous pourrons donc partir le 5 pour la Hongrie.
Comme je vous l’ai dit, nous voyagerons en auto. Nous comptons faire étape à Strasbourg, Münich et Vienne. En principe, nous arriverons donc le 8. J’observe que, venant d’Autriche par Sopron, que nous voulons visiter, nous sommes plus près de Tihany que de Budapest. Il ne sera donc pas nécessaire que vous déplaciez pour venir nous attendre dans la capitale. Je vais vous envoyer cette lettre par avion, de telle sorte que vous puissiez y répondre, si vous le jugez nécessaire, avant notre départ. Ne dérangez, surtout, absolument rien dans vos travaux, vos habitudes et vos projets !
Je pense qu’à Tihany je n’aurai qu’à me pencher à la portière en criant « Eljen Illyés Gyula ! » pour qu’on nous montre votre maison. Ah, la langue ! Quand je pense à toutes les mimiques qu’il nous va falloir faire pour nous faire comprendre, j’ai envie de me retirer dix ans dans une grotte pour apprendre le Magyar. Honte sur moi ! Et dire que, la semaine dernière, j’entendais Balaj et sa femme, Ilona Bartocz et Ötlik s’exprimer dans la langue de Racine avec assez d’aisance pour que nous discutions pendant une heure de la nécessité <des> de réformer la prosodie française ! Il paraît qu’il est indispensable d’y introduire le rythme ïambique ! Moi, je veux bien. Mais il me semble qu’il y a des choses plus urgentes, en poésie et ailleurs...
L’une de ces choses – une des moindres – serait d’avoir les épreuves du Petőfi avant le 5 août. On les promet, « foi d’animal », mais vous connaissez la maison Gallimard ! Enfin, espérons ! C’est la devise passe-partout depuis que nous sommes au monde. En attendant, je travaille un peu « pour moi » : un roman qui n’en est pas un, où je veux brocher un tas de vies sur la mienne, n’hésitant pas à me déposséder de mille souvenirs pour donner quelques profondeurs à des personnages qui ne me sont rien, mais que je veux rendre solidaires de moi au point de me perdre en eux.
Vos pensées si affectueuses, mon cher ami, est-il besoin de vous dire qu’elles rejoignent les nôtres ? Oui, ce sera une réunion de famille ! Et c’est en vous embrassant tous les trois, en notre nom à tous trois, que je termine cette lettre tardive.
Publications
Tüskés Anna : Jean Rousselot levelei Illyés Gyulához. Válogatás = Lymbus 2009. pp. 365-409.
Tüskés Anna : Jean Rousselot et Gyula Illyés au miroir de leur correspondance (1956─1983) = Revue d'Études Françaises 18 :(hors série) 2013.
Christophe Dauphin–Anna Tüskés : Les Orphées du Danube: Jean Rousselot, Gyula Illyés et Ladislas Gara. Suivi de Lettres à Gyula Illyés, par Jean Rousselot. Soisy-sur-Seine, Éditions Éditinter, 2015, 301-302.